Livre paru le 9 janvier 2020 (Auteurs : Jean-Michel Blanquer et Edgar Morin)
J’ai lu le livre que Jean-Michel Blanquer (ministre de l’Éducation nationale) et Edgar Morin (philosophe) ont co-écrit : « quelle école voulons-nous ? »
Il s’agit d’un dialogue où l’un et l’autre répondent à des questions posées par deux journalistes de Sciences Humaines.
Sur la forme, j’ai regretté qu’à plusieurs reprises, il manque la réponse d’Edgar Morin sur des questions pourtant importantes comme la suppression des notes… À la fin du livre, sur le thème « liberté-égalité-fraternité», on trouve plus de 10 pages consacrées au point de vue du ministre contre à peine 3,5 pour Edgar Morin. La préface mentionne que l’école devrait (entre autres) «sélectionner une élite efficace » … Dommage, est-ce vraiment ce que nous voulons pour notre école?
D’un point de vue général, l’ouvrage est inégal et surtout l’occasion pour l’homme politique de défendre son programme (il annonce par exemple qu’il va augmenter de 1000 euros -brut?- annuellement les professeurs soit 83,3€/mois…) et pour le philosophe de défendre des idées qui lui sont chères, dont certaines intéressantes, mais malheureusement souvent trop haut perchées.
Plus précisément, on retiendra chez Edgar Morin l’idée de proposer une vision interdisciplinaire (pédagogie de projet) qui évite le cloisonnement des disciplines, la nécessité de former des esprits capables d’appréhender la complexité (car les problèmes de la vie le sont et ne peuvent être appréhendés que par une discipline, une vision étriquée), la nécessité également d’enseigner à problématiser et d’enseigner une identité planétaire… mais tout cela n’est pas très nouveau.
Sur l’histoire de France, la réflexion est assez pauvre. On nous explique qu’elle est intéressante parce qu’elle est le fruit d’une intégration continue de peuples… Mais quid de la réflexion sur la façon dont elle est enseignée ? Sur les fausses représentations de l’histoire ? Sur le fait que l’on enseigne uniquement l’histoire des élites (les rois, les empereurs, etc.), l’histoire des guerres… une histoire qui me paraît somme toute enfermée dans une vision hexagonale…
Sur la question de la diffusion de la pédagogie Montessori dans le public, le ministre ne répond pas et simplifie cette approche : « elle n’aurait fait qu’enrichir la vision socratique de la maïeutique ». Il explique qu’elle ne fait pas preuve de constructivisme1 ce qui est assez étonnant, car cette théorie de l’apprentissage (qui s’est étendue avec le socioconstructivisme) fait très largement consensus : on a depuis longtemps compris que l’apprentissage par automatisme et conditionnement (béhaviorisme2), c’est-à-dire limité à une association stimulus-réponse, n’est pas du tout efficient. Or toutes les pédagogies différentes, dont Montessori, sont constructivistes… Le ministre défend une position cognitiviste3 centrée sur les neurosciences.
Ce n’est pas la position d’Edgar Morin qui explique sans ambiguïté son adhésion à la pédagogie Montessori en encourageant sa diffusion dans le secteur public. Ce dernier affirme d’ailleurs qu’il n’est pas pour une approche cognitiviste unilatérale et met en garde contre les dérives qui existent déjà : « une tendance impérialiste, sinon réductionniste ».
Pour ce dernier, l’éducation est un ART éclairé par la science contrairement au ministre qui considères les sciences cognitives comme étant – ou devraient être – par excellence les sciences de l’éducation4 (il s’interroge et remet en cause ce qu’elles sont actuellement).
Nous renvoyons à ce sujet à l’ouvrage (80 petites pages) « Neuropédagogie, le cerveau au centre de l’école », de Michel Play et Christian Laval (Tschann & Cie) qui apporte une vision critique et historique des politiques de l’éducation des générations futures à partir de la connaissance du cerveau obtenue par les neurosciences.
On découvre également que le ministre n’est pas très fan des sociologues français qui, selon lui, seraient trop centrés sur la question des inégalités. La position d’Edgar Morin est assez proche. Pourtant de nombreuses études sur de nombreuses années n’ont fait qu’affirmer l’origine sociale des inégalités.
Pour conclure, cet ouvrage n’apporte pas grand chose de neuf. Si l’on avait espéré des idées nouvelles, voire innovantes, pour construire l’école du futur, on reste un peu sur sa faim !
Définitions :
- 1 – Le constructivisme, théorie de l’apprentissage, a été développé, entre autres, par Piaget, dès 1923, face au béhaviorisme qui, d’après lui, limitait trop l’apprentissage à l’association stimulus-réponse et considérait le sujet comme boite noire.
- 2 – Le béhaviorisme, behaviorisme ou comportementalisme, est un paradigme de la psychologie scientifique selon lequel le comportement observable est essentiellement conditionné soit par les mécanismes de réponse réflexe à un stimulus donné, soit par l’histoire des interactions de l’individu avec son environnement, notamment les punitions et renforcements par le passé.
- 3 – Le cognitivisme est le courant de recherche scientifique endossant l’hypothèse selon laquelle la pensée est analogue à un processus de traitement de l’information, cadre théorique qui s’est opposé, dans les années 1950, au béhaviorisme sur certaines questions, mais sont tout à fait compatibles l’une et l’autre.
- 4 – Les sciences de l’éducation concernent l’étude de différents aspects de l’éducation, et font appel à diverses disciplines : histoire de l’éducation, sociologie de l’éducation, didactique des disciplines, psychologie des apprentissages, ou encore philosophie.