L’hybridation pédagogique
Après une initiation à la pédagogie Montessori, vous ressentez peut-être la tentation d’en mettre en œuvre certains pans, d’en laisser d’autres de côté et d’intégrer dans votre pratique des éléments issus d’autres pédagogies. Dans ce cas, dans quoi vous engagez-vous ?
L’hybridation pédagogique, c’est quoi ?
Certaines écoles choisissent de se référer à plusieurs pédagogies : Montessori, Reggio, Freinet, Steiner,… Certaines intègrent telle ou telle méthode dans une matière en particulier. Ou encore, décident de se défaire d’un élément de la pédagogie qu’elles pratiquent (par exemple : le libre choix de ses activités par les enfants). En Montessori, on pourra aussi trouver sur les étagères, au milieu du matériel Montessori, d’autres activités pédagogiques.
Ces écoles se définissent notamment comme “d’inspiration Montessori”.
L’idée soutenue ici est d’aller chercher dans chaque pédagogie un élément qui convient à qui l’exerce créant ainsi un ensemble hétéroclite qui serait adapté à un environnement et aux enfants dont on a la charge de l’instruction.
En effet, pourquoi ne pas se composer une pédagogie ad hoc, en prenant “le meilleur” de chaque pédagogie ?
La cohérence d’une pédagogie prise dans sa globalité
Une pédagogie, telle que celle de Maria Montessori, a été conçue comme un ensemble. La personne des enfants est considérée dans son ensemble : on ne sépare par le corps de l’esprit, on ne sépare pas l’élève de l’enfant, on ne sépare pas l’académique et ce qui ne l’est pas.
La pédagogie Montessori est une proposition pour transmettre des savoirs aux enfants en suivant leur développement naturel et leurs besoins. Le respect des enfants en tant que personnes permet dans cette proposition d’atteindre une discipline et un vivre-ensemble adaptés à la vie en collectivité dans une école et plus largement, dans la société.
Ainsi, la pédagogie Montessori prise dans son ensemble est pensée pour que cela fonctionne bien pour la petite communauté qu’est une ambiance Montessori. Il est alors difficile de faire son marché et ne choisir que certains pans et d’autres pas sans mettre cet équilibre en péril. Le matériel est pensé dans une continuité, une progression, même au-delà de chaque cycle. L’équilibre entre la liberté et le cadre est également finement dosé.
Montessori propose en 3-6 ans, durant des périodes de travail, des activités de vie pratique dont l’utilisation de certains outils d’art mais pas d’art à proprement parler. Montessori propose aux enfants de bouger librement, que cela soit à l’intérieur, comme à l’extérieur mais ne propose pas d’éducation sportive. Est-ce pour autant une pédagogie incomplète, inadaptée, dépassée ? Ces éléments, l’art, le sport, ne viennent-ils pas naturellement compléter les explorations des enfants hors période de travail en ambiance Montessori ?
Ce que montre la science au sujet du “Montessori enrichi”
On observe que certain·es enseignant·es “enrichissent” leurs ambiances Montessori d’autres matériels : des jeux, des puzzles…
La chercheuse Angeline Stoll Lillard s’est penchée sur ce sujet. Nous avions eu le plaisir de réaliser la traduction d’une interview réalisée en 2022 par Céline Guerreiro. Voici un extrait de la transcription en français :
« Une chose que j’ai remarquée, c’est que, parfois, vous avez ces salles de classe, tout simplement magnifiques où (…) j’ai observé ce véritable amour et cette préoccupation des enfants les un·es pour les autres. (…), un travail long et complexe en cours, des conversations impressionnantes dans lesquelles les enfants font preuve d’un raisonnement moral très élaboré.
Je me tenais là, à espionner toutes ces conversations. Et l’enseignant·e pouvait être ailleurs en train d’observer ou faire autre chose. J’ai vu ces classes incroyablement belles, qui ressemblaient vraiment à ce que j’avais lu et à ce que décrivent les livres de Montessori que j’ai étudiés. (…)
Et il y avait les autres classes, où tout allait de travers, où les enfants ne semblaient pas travailler du tout. Elles étaient en désordre. Les enfants détournaient le matériel pour jouer. Le matériel était maltraité. On n’avait aucunement l’impression que les enfants apprenaient quoi que ce soit ni que leur développement suivait son cours. Les enfants semblaient parfois beaucoup s’amuser, mais l’impression générale qui s’en dégageait était vraiment différente. Et ça ne ressemblait pas à ce que Montessori décrit dans ses livres.
Je me suis donc demandé si les résultats de ces classes étaient différents. J’avais besoin d’un moyen objectif d’identifier ce qui était différent dans ces classes. Une différence est ressortie : il m’a semblé que les salles de classe qui fonctionnaient mieux n’étaient dotées que de matériel Montessori, ou pas grand-chose d’autre. J’ai donc utilisé cette différence comme mesure. Cela ne signifie pas que c’est tout ce qui importe dans une classe. Mais il s’agissait d’un critère facile à mettre en place. (…) On parle de « Montessori enrichi. »
L’étude évoquée par Angeline Stoll Lillard (Removing Supplementary Materials from Montessori Classrooms Changed Child Outcomes, Angeline S. Lillard and Megan J. Heise, University of Virginia, Mai 2016, Journal of Montessori Research) compare les progrès des enfants de classes où le matériel non issu du curriculum Montessori a été retiré à ceux des enfants de classes où il a été conservé.
Lorsqu’uniquement le matériel Montessori est disponible, il a été mesuré que les enfants ont davantage progressé – de manière significative – en lecture et au niveau des fonctions exécutives, et de manière plus mesurée en mathématiques.
Savoir respecter la profonde cohérence sans figer une pédagogie qui n’a pas vocation à l’être
Montessori n’a pas elle-même figé sa pédagogie. Elle l’exprime expressément. Son travail doit être affiné par la recherche scientifique constante.
On peut aussi considérer que certains aspects de la pédagogie Montessori ont été formalisés a posteriori. Ou que des pratiques plus récentes liées à la posture des adultes comme la communication non violente, l’expression du cadre clair, l’encouragement positif des comportements etc. sont en parfaite ligne avec l’esprit de la pédagogie Montessori.
Pour conclure, il est toujours enrichissant d’étudier plus qu’une pédagogie pour développer un esprit critique aiguisé et mieux comprendre la pédagogie que l’on pratique. Mais au vu de l’état de la recherche, il nous semble qu’il est important de ne pas se précipiter et “enrichir” la pédagogie de tel ou tel matériel, de telle ou telle pratique avant d’en avoir une compréhension profonde et une pratique suffisante au risque d’introduire des difficultés de mise en oeuvre dont on ne saurait plus identifier les sources réelles.
À bientôt
Jeanne, de l’équipe d’AIRAM Montessori.