Que vous soyez au début de votre formation ou éducatrice ou assistant Montessori depuis de nombreuses années, ou même que vous vous intéressiez simplement à ces métiers, selon vous, quelles sont, seraient vos missions, comment imaginez-vous le rôle d'un·e adulte dans une ambiance Montessori 3-6 ans ?
Au service des enfants, au-delà des frontières
Interview de Jeanne-Marie Trégan, éducatrice Montessori 3-6 ans
Vous êtes éducatrice Montessori 3-6 ans mais il s’agit d’une reconversion. Parlez-nous de votre parcours avant cela ?
J’ai commencé par un doctorat en sciences de gestion à l’université d’Aix-Marseille 3 au cours duquel j’ai donné différents cours de gestion et d’économie. J’ai finalement quitté l’université où je peinais à trouver ma place. J’ai ensuite enseigné les mathématiques durant quatre ans en tant que professeure remplaçante dans des collèges. Comme beaucoup d’enseignant·es, j’avais du mal à trouver mon travail satisfaisant : trop d’enfants dans les classes, des classes trop hétérogènes et trop peu de soutien ou de formation.
J’ai alors envoyé mon CV dans des écoles à Oujda au Maroc où j’avais des ami·es. Et ça fait maintenant douze ans que je suis là et que je travaille auprès des enfants. J’ai travaillé à la direction d’écoles privées, j’ai enseigné le français à des élèves de primaire ou de collège et j’ai animé des ateliers Montessori en maternelle.
Comment avez-vous été amenée à vous intéresser à la pédagogie Montessori ?
En travaillant à la direction pédagogique de groupes scolaires à Oujda, j’ai été amenée à m’informer sur les différentes pratiques pédagogiques et j’ai découvert la pédagogie Montessori grâce aux écrits, conférences et vidéos de Céline Alvarez. En juin 2020, on m’a confié la direction d’une maternelle qui faisait partie d’un nouveau grand groupe scolaire. Au cours de l’été, j’ai réussi à aménager six classes avec du matériel Montessori pour les 3-6 ans et une classe pour les 18-36 mois et j’ai essayé de transmettre mes connaissances à treize éducatrices en trois mois pour que nous soyons capables d’accueillir les enfants en septembre. A la rentrée, nous avions plus d’inscrit·es que nous n’avions anticipé, les classes étaient aménagées, les éducatrices commençaient à ressembler à des éducatrices Montessori, nous étions toutes émerveillées !
Une passion pour la pédagogie Montessori était née en moi. J’ai trouvé extrêmement satisfaisant de voir les progrès des enfants, de les voir s’épanouir, venir en courant à l’école et parler de moi à leurs parents. Je comprenais enfin comment les enfants apprennent et comment leur transmettre le goût de la connaissance.
Vous vous êtes formée en tant qu’éducatrice Montessori 3-6 ans avec AIRAM Montessori. Quels sont les éléments qui vous ont guidée pour choisir notre centre de formation et comment avez-vous vécu votre formation ?
C’est le sérieux de la formation AIRAM qui a guidé mon choix ainsi que la possibilité d’être diplômée éducatrice montessori AMI après une VAE (même si aujourd’hui je ne pense pas faire cette VAE).
Dès le début, j’ai eu envie de travailler sur les albums. J’ai trouvé leur contenu passionnant, bien organisé, incluant des exercices variés me permettant d’adopter une posture active dans mon apprentissage. Tout ça m’a donné envie de beaucoup travailler. Je me sentais soutenue aussi dans mes efforts d’apprentissage, grâce à des échanges WhatsApp fluides et grâce aux efforts des formatrices pour rendre nos échanges chaleureux. Mon rythme de travail a pu varier durant mon année en tant que stagiaire AIRAM.
J’ai vécu avec bonheur cette formation qui m’a transformée et a donné un nouveau sens à ma vie.
Parlez-nous du projet que vous portez aujourd’hui.
En voyant mes élèves joyeux et joyeuses d’apprendre à lire ou à compter j’ai pensé qu’il fallait absolument que je participe à diffuser cette pédagogie. Le monde ne serait-il pas plus en paix si on donnait aux enfants les moyens d’apprendre dans la joie ?
C’est avec cet objectif en tête que je me suis formée sérieusement à la pédagogie Montessori et que j’ai appris à réaliser des vidéos pour montrer sur YouTube comment je forme les éducatrices d’un orphelinat avec un matériel didactique que j’ai développé moi-même ces quatre dernières années selon les principes Montessori. Ces vidéos sont aussi un moyen de récolter des fonds permettant d’aménager la classe avec du véritable matériel Montessori.
En tant qu’étrangère, je ne pouvais pas intervenir dans les écoles publiques sans faire de longues démarches administratives qui n’auraient peut-être jamais abouti. J’ai conservé des missions rémunérées à Oujda et j’œuvre dans cet orphelinat qui se trouve dans la ville de Jerada.
Dans cet orphelinat, mon objectif premier est d’apprendre aux éducatrices à travailler avec des enfants sur des activités toutes différentes. Je me dis que tant que les enfants ne connaissent pas le fonctionnement de la classe, il faut que les éducatrices sachent les diriger vers des activités autonomes. Il faut pour cela qu’elles connaissent parfaitement toutes les activités afin de proposer celle qui répondra aux besoins de l’enfant. Une fois que les éducatrices atteindront cet objectif, elles amèneront leurs élèves deux à quatre fois par semaine dans la classe d’inspiration Montessori. Quand les enfants connaîtront le fonctionnement de la classe, elles pourront faire des présentations individuelles. J’ai hâte qu’elles voient bientôt les enfants progresser de façon incroyable comme je l’ai vécu ! J’espère ainsi, à terme, leur donner envie de chercher les moyens d’équiper leur classe pour proposer une éducation à l’autonomie.
Vérifiez-vous dans votre expérience que l’approche de l’enfant de Maria Montessori est universelle ?
Dès que j’ai commencé à enseigner avec du matériel que j’avais conçu en m’inspirant des travaux de Maria Montessori, j’ai vu que son approche de l’enfant était universelle. Me sont apparus tous les besoins (physiques, affectifs et psychiques) des enfants auxquels j’étais restée aveugle pendant plus de quinze ans lorsque je travaillais dans des collèges ou des écoles.
J’ai vu sur l’enfant l’effet extraordinaire d’un environnement préparé avec soin pour satisfaire ses besoins spécifiques et l’effet des présentations individuelles pleines d’attention et d’enthousiasme.
Le caractère universel de l’approche de Maria Montessori s’illustre également par le caractère limité de ce qu’elle propose en termes de matériel de langage, ce qui est naturel au vu de la diversité des langues. Il est nécessaire selon moi de développer des activités selon son contexte linguistique, par exemple dans mon cas en faisant le pont entre deux écritures : l’écriture majuscule scripte (enseignement obligatoire selon les directives ministérielles au Maroc) et l’écriture cursive minuscule.
Quels sont les défis que vous rencontrez dans votre pratique et dans votre projet ?
En tant qu’éducatrice Montessori, mon premier défi est de penser à chaque instant au bonheur que procure le sourire d’un enfant qui apprend. On oublie trop souvent qu’on récupère au centuple ce qu’on donne à un·e enfant pour comprendre et satisfaire ses besoins en termes d’apprentissage.
Par ailleurs, alors que j’ai tendance à relâcher mon attention quand l’enfant a compris un exercice qui demandait un effort cognitif important, mon deuxième défi est de réussir à prolonger mon plaisir jusque dans la transmission de l’importance de systématiquement mener jusqu’au bout une activité et de bien la ranger.
Nous avons tendance aussi à montrer rapidement la solution aux enfants qui ont des difficultés. Mon troisième défi est donc d’arriver à être toujours plus patiente et persévérante pour guider l’enfant à trouver seul·e la solution.
Au delà de ma pratique, en tant que formatrice et créatrice de contenu, mon premier défi est d’être entendue par les éducateurs et éducatrices qui ne connaissent pas, ou peu, ni la pédagogie Montessori, ni l’éducation à l’autonomie, ni le bonheur du sourire d’un·e enfant qui apprend. Je souhaiterais que mes vidéos puissent être traduites en darija et en arabe, cela m’aiderait considérablement à surmonter ce défi.
Mon deuxième défi est de leur donner envie de mettre en œuvre cette pédagogie, ou tout au moins, de favoriser davantage l’autonomie de leurs élèves. Je voudrais leur montrer que c’est à la portée de tous et toutes et qu’on est largement récompensé·e par le travail fourni pour mettre en œuvre cette pédagogie qui procure une joie profonde, aux adultes et aux enfants qui s’épanouissent, gagnent en sérénité et en motivation. Quand on a des habitudes ancrées au plus profond de soi, il est rare qu’on fasse l’effort de les changer mais je suis convaincue que d’autres verront dans cette pédagogie ce que nous montessoriens et montessoriennes voyons.
Pour être entendue par le plus grand nombre, il faudrait que l’expérience à l’orphelinat de Jerada soit relayée par les autorités. On m’a proposé de faire une intervention de deux heures auprès d’éducatrices en formation destinées à travailler dans le secteur public. C’est peu de choses mais peut-être que je réussirai ainsi à planter quelques graines.
Qu’est-ce que l’étude de la pédagogie Montessori vous a apporté professionnellement mais aussi personnellement ?
L’étude de la pédagogie Montessori a rendu mon travail d’enseignante hautement satisfaisant. Étudier le matériel Montessori et apprendre à le présenter aux enfants a transformé ma vision de l’enseignement, de l’enfant et de la relation apprenant·e – enseignant·e. Je pense être une bien meilleure enseignante, pour les 3-6 ans bien sûr, mais aussi pour mes élèves de primaire. Elle m’a appris comment je pouvais motiver mes élèves à apprendre, à développer leur plein potentiel et s’épanouir. J’ai compris grâce à elle l’importance, avec les 3-6 ans, des gestes lents, de la douceur, de la joie, de la réflexion et de la préparation scrupuleuse de l’environnement. Elle m’a appris à observer l’enfant pour l’aider à satisfaire ses besoins psychiques. Elle m’a appris les bienfaits de la discrétion attentive. Elle m’a fait comprendre que développer le plein potentiel d’un·e enfant nécessitait de s’élever soi-même et elle m’a donné les moyens de le faire.
L’étude de la pédagogie Montessori m’a donné envie de mettre les enfants au centre de ma vie, de réfléchir aux moyens de les protéger, de les aider à s’épanouir, de concevoir des activités pour rendre joyeux l’apprentissage des langues et des mathématiques, de peindre ou de faire de la musique pour leur donner envie de créer à leur tour.
En voyant le bonheur des enfants de mon entourage, en observant émerger leur goût pour le travail, j’ai pensé que Maria Montessori avait raison sur la puissance de sa pédagogie pour changer le monde. J’ai eu alors envie de diffuser sa pédagogie avec la conviction que mettre l’enfant au centre de nos sociétés, c’était construire un monde en paix.
Pour suivre le projet de Jeanne-Marie : www.youtube.com/@assia-mariedoujda

À bientôt
Jeanne, de l’équipe d’AIRAM Montessori.