En collaboration avec Céline Guerreiro, AIRAM vous propose la traduction anglaise de son passionnant podcast.
Céline Guerreiro – Bonjour, Barbara. C’est un honneur de vous recevoir aujourd’hui dans ce podcast.
Barbara Oakley – Céline, je suis très heureuse d’être ici. Merci de me recevoir!
J’ai suivi les deux cours « apprendre à apprendre » sur Coursera. J’ai lu le livre pour adolescents et j’ai commencé à écouter Mindshift. Et oui, tout cela!
Et bien ! C’est fantastique.
Et je crois avoir compris que vous n’aimiez pas les maths à l’école, mais maintenant vous êtes professeur d’ingénierie. Êtes-vous d’accord pour commencer ce podcast en parlant de votre propre expérience en tant qu’apprenante?
Ok, même si je pense que vous avez une meilleure expérience que moi parce que votre anglais a vraiment progressé depuis un an.
Mais vous avez appris le russe il y a quelques années !
Oui. Il y a bien quelques années. Donc, vous avez tout à fait raison. Je n’aimais pas les maths et les sciences et je n’avais pas de très bons résultats quand j’étais à l’école primaire, au collège et au lycée. Et j’ai juste pensé : je ne peux pas recevoir ce genre d’apprentissage. Alors je me suis engagé dans l’armée pour apprendre une langue. J’ai donc étudié le russe. J’aurais dû étudier le français, évidemment, une si belle langue!
Mais j’ai appris le russe. Ça m’a pris un an et demi. Mais ensuite, j’ai découvert à mon grand étonnement que même si j’avais fait ce que tout le monde m’avait dit de faire en suivant ma passion et en apprenant une langue, en fait j’étais égoïste en faisant cela parce que je faisais seulement ce que je voulais faire et je ne regardais pas ce dont le monde avait besoin.
Donc, si j’avais été plus intelligente, j’aurais équilibré mes propres désirs avec les désirs de ce que le monde recherche vraiment. Parce que lorsque j’ai quitté l’armée, à l’âge de 26 ans, j’ai compris que je m’étais engagée dans une carrière qui n’offrait pas beaucoup d’opportunités d’emploi, alors que de nos jours, il y a beaucoup d’opportunités. Si vous êtes également capable, et ce quelles que soient vos passions, d’inclure certaines connaissances en matière de compétences analytiques à ces passions, cela peut être une très bonne ouverture pour le genre de carrière qui vous permettra de mettre toutes les chances de votre côté.
En d’autres termes vous avez plus de contrôle. Si vous n’aimez pas un travail, vous pouvez démissionner plus facilement et avoir plus de facilité à trouver un nouveau travail que vous aimez. Si vous n’avez pas beaucoup d’options de carrière à votre disposition, vous n’avez pas ce genre de flexibilité et parfois vous devez travailler pour des gens que vous n’aimez pas, et faire des choses que vous n’aimez pas.
En tout cas, à 26 ans, j’ai décidé de voir si je pouvais ouvrir un peu plus mon cerveau et commencer à apprendre les maths et les sciences. Et à ma grande surprise, j’ai réussi!
Mais je sais maintenant, grâce aux neurosciences, que si j’ai réussi, c’est parce que j’ai appliqué certaines des méthodes d’apprentissage des langues, à l’apprentissage des maths et des sciences.
Penser dans une langue étrangère peut vous permettre de penser également plus rapidement et plus facilement dans le langage des mathématiques, penser dans le langage du codage ou ce genre de choses. Donc j’ai été vraiment surprise par les points communs sous-jacents des neurosciences de l’apprentissage et nous pouvons souvent faire beaucoup plus que ce que nous pensons.
C’est vraiment intéressant. Et je vous ai entendu dire que c’est une bonne idée d’élargir notre passion.
C’est vrai. On nous dit toujours de suivre notre passion, ce qui signifie que si on aime déjà quelque chose, il faut continuer à le faire. Et bien, ce n’est pas nécessairement une bonne idée, parce que si vous aimez quelque chose, il y a de fortes chances que d’autres personnes, peut-être même que beaucoup d’autres personnes aiment ce que vous aimez, ce qui signifie que lorsque vous entrez dans le monde du travail, vous n’avez rien de vraiment spécial qui vous différencie des autres personnes.
Si vous vous formez à la même chose que la plupart des gens, comme la psychologie par exemple, à laquelle je suis moi aussi intéressée d’ailleurs, cela signifie que si vous vous spécialisez et que vous obtenez un diplôme en psychologie, vous êtes en concurrence avec toutes les autres personnes, des dizaines de centaines de milliers de personnes avec des diplômes en psychologie.
Et comment vous différencier? Une bonne façon de le faire serait d’apprendre un peu de psychologie, mais d’équilibrer en apprenant des choses que les étudiants en psychologie typiques n’étudient pas souvent. Et de garder à l’esprit la question : qu’est-ce que les employeurs recherchent ? Si vous équilibrez avec quelque chose faites le avec ce que les employeurs recherchent, par exemple, des compétences en codage. Ça peut ne pas sembler vraiment excitant ou sexy de faire du codage, mais quand vous commencez vraiment à le saisir, vous comprenez que c’est comme un incroyable jeu d’échecs mental. Et c’est excitant. Et ce qui l’est encore plus, c’est que c’est vraiment intéressant certes d’exercer un “bon” travail mais que si vous n’aimez pas ce travail, vous pouvez en trouver un autre. C’est plutôt cool aussi! Donc, élargissez vos passions, gardez des idées de carrière différentes, ouvrez des portes.
Gardez différentes portes ouvertes pour votre carrière, et essayez de vous assurer que vous ne cherchez pas seulement ce que vous voulez. Mais ce que le monde veut.
Très bien. C’est un très bon conseil.
Et je n’ai jamais entendu de neuroscientifiques en France ou au Canada parler de mode diffus et de mode focalisé. Pour mes auditeurs français, pouvez-vous s’il vous plaît leur expliquer ces deux modes ?
Et bien il y a deux modes principaux de fonctionnement du cerveau. Le premier, c’est quand vous vous concentrez attentivement sur quelque chose.
Les psychologues ont appelé ce mode d’opération du cerveau le “réseau à tâches positives” (ndlr: Task-Positive Network ou TPN en anglais).
Vous vous concentrez, par exemple, sur la résolution d’un problème de maths ou sur la rédaction d’un essai en français ou en anglais. Donc vous vous focalisez sur une tâche.
L’autre façon de penser engage un ensemble beaucoup plus large de réseaux dans le cerveau.
Et cet ensemble, je l’appelle mode diffus parce qu’il indique en quelque sorte que tout est dispersé. Mais les psychologues l’appellent le “réseau à tâches négatives”. En d’autres termes, c’est un réseau qui apparaît lorsque vous ne faites rien. Il n’y a donc pas de tâches en cours et les neuroscientifiques l’appellent le réseau de mode par défaut (DMN). Et en fait, toute cette découverte du fait qu’il y a deux modes d’apprentissage différents est apparue parce plusieurs chercheurs, dont le plus éminent était Marcus Wrinkel, ont découvert la chose suivante: lors de leurs recherches ils demandaient toujours à leurs sujets de faire quelque chose, comme résoudre un problème de maths, s’imaginer jouer d’un instrument de musique, regarder telle ou telle image. Donc ils leur faisaient faire ces tâches, mais ils ont soudainement remarqué que lorsqu’ils disaient, ok, maintenant attendez ici pendant que nous préparons la prochaine tâche pour vous, et bien, pendant que les sujets attendaient et ne faisaient rien, leur cerveau était en train de faire quelque chose de complètement différent. Il y avait ce très grand ensemble de connexions qui apparaissait soudainement. Et il s’avère que lorsque nous nous relaxons mentalement et laissons notre esprit vagabonder, nous entrons dans ce mode diffus ou ce réseau de mode par défaut. Et cela peut se produire lorsque nous sortons pour une promenade, que nous prenons le thé ou avant de nous endormir le soir. N’importe laquelle de ces activités peut nous aider à activer ce réseau de mode diffus, d’où découle une grande partie de notre créativité, à partir de ce réseau beaucoup plus large.
Nous ne pouvons pas nous concentrer sur un problème particulier et le résoudre, mais nous pouvons obtenir une nouvelle perspective, de sorte que lorsque nous revenons à notre point de mire, nous pouvons réellement progresser sur les problèmes difficiles que nous essayons de résoudre ou sur les concepts que nous essayons de comprendre.
C’est vraiment intéressant. Je me demande donc: si mon mari court trois fois par semaine – mais pendant cette course, il écoute un podcast – est-ce que cela l’empêche d’être en mode diffus ?
Et bien oui et non. Ça dépend du podcast. Si le podcast est comme un calcul mental intense, ça l’empêche totalement d’être dans ce mode, mais c’est probablement quelque chose qui est, qui est facile à écouter et qui te donne juste quelques idées….
C’est en anglais! Donc il doit se concentrer et rester concentré.
Ah. Et bien, il utilise un peu plus le mode de concentration. Mais pendant que, disons, il se prépare à aller courir, il est en mode diffus. Parce qu’il ne se concentre pas vraiment sur les choses. Il est juste en train de, vous savez, mettre ses chaussures, préparer ses affaires.
Pendant qu’il se concentre sur le podcast, il n’est probablement pas en mode diffus. Mais quand il a fini, il l’est à nouveau. Même 30 secondes ou une minute ou deux peuvent vous aider.
D’ailleurs le podcast lui permet de se concentrer sur autre chose que ce sur quoi il se concentrait précédemment, de détourner son attention sur autre chose et cela permet à son cerveau de prendre un peu de repos.
Mais ces petits moments où vous passez à de nouvelles tâches et des choses comme ça, ce sont souvent des moments creux, et le mode diffus peut survenir à ce moment-là!
Ok. Ça peut être court!
Ça peut être court, oui.
De plus longues périodes de mode diffus peuvent être utiles si vous voulez vraiment laisser votre cerveau se relaxer ou si vous voulez permettre à votre cerveau de mettre les problèmes en arrière-plan.
Par exemple, il y a tant de grands écrivains qui faisaient de longues promenades et pendant ces promenades, ils ne se concentraient pas nécessairement sur un sujet précis, mais pendant qu’ils marchaient, des idées leur venaient pour écrire. Darwin lui-même a fait beaucoup de percées grâce à ses habitudes de marche.
Ok et dès que nous avons un moment de libre, nous sortons notre téléphone pour répondre à des messages, pour faire défiler, à travers les réseaux sociaux ou pour nous tester avec nos flashcards. Serait-il judicieux pendant ces quelques minutes ici et là de ne rien faire en particulier pour être en mode diffus, comme vous l’avez dit
Oui, absolument. Parce que si vous êtes en mode focal tout le temps, vous savez, plus vous essayez de vous concentrer tout le temps, plus cela va progressivement supprimer ce mode diffus qui vous rend plus créatif. Il y a des preuves que cela se produit. Et donc en effet vous savez, il est difficile de, euh, d’en être sûr, mais par exemple, quand je vais dans les pays asiatiques, on me dit souvent que nous avons vraiment de grandes difficultés avec la créativité.
D’ailleurs, lorsqu’on regarde de plus près comment l’apprentissage y est abordé, on voit qu’ils ont un grand respect pour le processus d’apprentissage. Mais, paradoxalement, ils imaginent le processus d’apprentissage uniquement en terme de concentration. Cela signifie donc qu’une grande partie de leur journée est consacrée à l’apprentissage et donc à la concentration, la concentration, la concentration, tout le temps. Et lorsqu’ils font une pause, c’est pour faire de la méditation, mais de façon concentrée! Ce qui signifie qu’ils sont en fait toujours concentrés!
Donc toute cette concentration tout le temps, c’est un peu, comme on dit en anglais “All work and no play makes Jack a dull boy » (ndlr: en français on pourrait traduire l’expression par “le travail sans jeu nous rend complètement terne, ennuyeux”).
S’octroyer des petits moments de repos mental et de relaxation est vraiment, vraiment important pour le processus créatif et aussi pour vous aider à intégrer ce que vous venez d’apprendre. Vous n’en êtes pas conscient, mais prendre cinq minutes de pause où vous ne vous concentrez sur rien, vous ne regardez pas votre téléphone, vous ne regardez pas un clavier et où vous regardez plutôt par la fenêtre où vous vous préparez une tasse de thé est très important. Ces minutes permettront aux parties centrales de votre cerveau et à votre hippocampe de faire une pause et de décharger les informations. Donc vous apprenez vraiment, même si vous pensez que vous ne faites rien.
Très bien. Je travaille avec des élèves de collège pour leur permettre d’apprendre à apprendre, de réduire leurs fausses croyances sur le cerveau et de leur permettre de mieux réussir. Certains sont plus motivés que d’autres. Y a-t-il un moyen d’agir sur la motivation intrinsèque ?
C’est une question très difficile, cela doit vraiment venir de l’intérieur de l’étudiant.
Mais en même temps, je dois faire une remarque importante. Quand les enfants vont faire du vélo, ils voient des enfants plus âgés faire du vélo, et ils veulent faire du vélo, même si ça fait mal quand on tombe, même si ça fait mal d’apprendre, de faire du vélo, et pourtant les enfants aiment cela, ils vont faire toutes sortes de choses pour faire du vélo.
Une grande partie de ce que les enfants apprennent, en maths par exemple, ou même l’apprentissage d’une langue étrangère quand ils ne vivent pas dans le pays où cette langue est pratiquée, représente un sport mental difficile. Ils ne peuvent pas par exemple voir d’autres enfants plus âgés utiliser les mathématiques comme ils les voient faire du vélo pour s’en inspirer. C’est quelque chose qui est très mental, très conceptuel pour eux.
Et donc pour beaucoup d’enfants, c’est difficile de voir à quoi cela sert. Ils se disent: “je ne suis pas motivé parce que je n’en vois pas l’utilité”. Et c’est là que les bons enseignants peuvent intervenir. Tout ce que vous devez faire ce jour-là est de les inspirer à en faire un peu. Puis le jour suivant, les inspirer à s’entraîner un peu plus. Le jour suivant et chaque jour peut-être une lutte.
Et vous pourriez dire alors “je n’arrive pas à faire en sorte que l’enfant aime faire ça de lui-même”. Et bien, vous savez, même les meilleurs chercheurs en neurones sur la motivation et sur les techniques pour rester concentré ont eux-mêmes lutté avec la motivation et le maintien de leur concentration. Donc ce n’est pas grave si les enfants ont ces problèmes, c’est pour ça que nous sommes là, en tant que professeurs, en tant que parents.
Et parfois, nous ne nous accordons pas assez de crédit parce que lorsqu’on fait un gentil rappel à notre enfant pour qu’il fasse un petit exercice de mathématiques tous les jours, nous pensons, que nous n’insistons probablement pas assez… Mais jour après jour, vous construisez quelque chose 😉 ! Et ce qui se passe, c’est que c’est comme si vous construisiez cette petite montagne, vous ajoutez une petite pelletée de sable, qui n’a pas l’air de beaucoup grandir jusqu’au jour où elle commence à ressembler à une colline. Plus cette petite colline de connaissances grandit, plus il devient facile d’y ajouter des connaissances supplémentaires. Plus vous en savez, plus il est facile d’apprendre de nouvelles choses. Donc vous devez juste amener les enfants à dépasser le stade de “oh, c’est ennuyeux. Je n’aime pas ça. Je ne vois pas l’intérêt.” C’est comme apprendre à jouer d’un instrument de musique: “Je n’aime pas ça. Je ne veux pas le faire. Ouais. Je suis mauvais à ça, blablabla”… jusqu’au jour où l’instrument produira un son agréable. De même avec les maths ou avec le codage; où l’enfant dira un jour, oh mais c’est tout ce que je dois faire pour que cet algorithme fonctionne? Ils commencent à se motiver une fois qu’ils ont passé ces obstacles initiaux.
Donc, donnez-vous du crédit en tant que parent ou enseignant, si vous parvenez à motiver l’enfant à travers les apprentissages initiaux qui sont lents et qui, comme le vélo, contiennent des étapes de chute, d’échec, avant que celui-ci ne parvienne à un déclic et à voir la beauté cognitive de ce qu’il est en train de réaliser.
Tu veux dire que le succès motive ?
Oui. On pense souvent que la motivation mène au succès, mais c’est souvent l’inverse.
Une fois qu’on a réussi, on devient motivé. C’est donc là que nous devons agir en tant qu’enseignants. Nous devons juste continuer à leur faire faire les choses de plus en plus difficiles jusqu’à ce qu’ils commencent à percevoir le plaisir de faire et de réussir, et ils le perçoivent presque toujours.
Qu’est-ce que la pratique délibérée ? Est-ce la même chose que la pratique de récupération ?
Ce sont donc deux concepts différents, bien qu’ils soient liés l’un à l’autre. Donc, lorsque vous apprenez quelque chose, vous créez des ensembles de liens dans la mémoire à long terme. Et je dis bien lorsque vous apprenez!
Parce que vous pouvez penser que vous avez appris quelque chose comme lorsque vous regardez une liste de mots de vocabulaire en langue étrangère pour préparer un test. Vous vous dites: c’est bon, je les ai retenus. Puis vous passez le test, vous vous plantez. En réalité vous avez mis ces mots dans une partie temporaire de votre cerveau appelée mémoire de travail, quand vous avez regardé la feuille de papier. Qui est temporaire, comme son nom l’indique. C’est comme si je vous disais de vous souvenir du nombre 2, 9, 4, 3, 5, vous le répéterez probablement pendant un petit moment, mais dans cinq minutes, si je vous demandais quel était ce nombre, vous l’oublieriez parce qu’il est seulement dans votre mémoire de travail temporaire.
Mais si vous vous entraînez vraiment sur quelque chose, vous créez en fait des ensembles de liens dans la mémoire à long terme dans le néocortex, qui est dispersé dans tout votre cerveau et la façon de renforcer et de savoir avec certitude que vous avez des liens dans la mémoire à long terme et non dans la mémoire de travail à court terme est d’essayer de le faire revenir à l’esprit.
Essayez. Si vous lisez une feuille de papier ou une page d’un livre, détournez le regard et dites-vous : quelle était l’idée la plus importante dans ce livre ou sur cette page ?
Ou si vous regardez des flashcards et c’est d’ailleurs à cela qu’elles servent : quel mot espagnol correspond à ce mot français?
Vous vous testez, vous le « récupérez » dans votre propre cerveau et cela renforce ces liens.
La pratique délibérée, d’autre part, c’est l’idée que pour apprendre efficacement, nous ne pouvons pas juste lire simplement et nous contenter de faire des choses faciles que nous maîtrisons déjà assez bien.
C’est l’idée que nous voulons nous pousser à la limite, aller chercher quelque chose de plus difficile pour nous, ce qui peut en conséquence souvent impliquer une pratique de récupération.
Par exemple, lorsque vous êtes en train de lire une page difficile d’un livre, à un moment vous regardez ailleurs et vous vous dites : « Quelle est cette idée clé que je viens d’apprendre ?” Là, c’est vraiment se concentrer sur la chose la plus difficile que vous étiez en train de faire!
Vous utilisez donc une “pratique délibérée”, en même temps qu’une “pratique de récupération”.
D’un autre côté, si vous avez une pile de flashcards que vous connaissez très bien et que vous les feuilletez, cela est facile car vous les connaissez déjà. Vous le savez. Ce n’est pas vraiment une pratique délibérée. C’est une pratique de récupération des connaissances faciles, ce qui ne va pas vraiment vous faire progresser.
J’ai compris. Merci. Pendant le cours pour adolescents, tu utilises une métaphore avec une souris. Je ne suis pas sûre de comprendre cette métaphore?
J’avais l’habitude de comparer nos synapses à un chemin dans la forêt. Au début, nous devons passer à travers les branches pour dégager le chemin. Si nous suivons le même chemin plusieurs fois, il devient plus facile et plus marqué, mais si vous n’utilisez pas le tracé, souvent la végétation repousse. Cela a-t-il le même sens que votre métaphore de la souris ?
Oui, absolument. C’est ce que j’entends par la métaphore de la souris. La première fois qu’une souris court dans l’herbe haute, elle doit en quelque sorte pousser pour avancer. Mais une fois que la souris a parcouru ce même chemin dans l’herbe plusieurs fois, elle commence à avoir un petit sentier et là elle peut aller très vite parce qu’elle l’a parcouru beaucoup de fois.
C’est donc exactement la même analogie.
Ok. Et pourquoi les métaphores sont-elles si efficaces ?
Parce que lorsque vous apprenez quelque chose, vous créez ces séries de « liens » et il est difficile de créer tout un ensemble de liens sur un nouveau concept. Alors quand vous obtenez ces ensembles de liens, disons que vous apprenez quelque chose de nouveau. Imaginons que vous apprenez comment l’eau coule. En tant qu’adultes, nous pensons que l’écoulement de l’eau est évident, mais quand vous étiez un bébé et petit enfant, vous ne compreniez pas du tout comment l’écoulement de l’eau fonctionnait. C’est pourquoi les bébés jouent avec l’eau. Regardez les petits enfants, ils sont tout excités avec l’eau, parce qu’ils sont en train de s’amuser avec et de la comprendre.
Quoi qu’il en soit, en tant qu’adulte, si vous apprenez comment le courant électrique circule, et bien, les électrons circulent en quelque sorte comme le font les molécules d’eau.
Et c’est beaucoup plus facile si je vous le fais comprendre ainsi. Si j’essayais d’expliquer le flux du courant électrique, pensez au mot même que nous utilisons – “courant”, c’est le même mot que nous utilisons pour le courant de l’eau. Et vous feriez alors automatiquement le lien entre les deux courants. Si je ne pouvais pas utiliser de métaphores, je vous dirais alors, par exemple, que les électrons vont se mouvoir selon la dérivative illustrée par ce calcul – vous n’aurez pas de compréhension intuitive sur ce que fait un courant électrique. Certes les courants d’eau et d’électricité n’ont pas grand chose en commun, mais au moins, de manière superficielle, cela vous donne une idée générale bien plus rapidement! Les métaphores offrent des idées clés sur ce qui correspond ou ne correspond pas au concept étudié. Par exemple le courant électrique circule dans un câble, il ne circule pas vers le bas selon la gravité, il circule selon une répartition “discrète” contrairement à l’eau qui circule de manière “continue”.
Donc il y a beaucoup de choses que notre analogie nous aide à comprendre, dans ce car par exemple ce qu’est le courant électrique, et aussi ce qu’il n’est pas. Et ceci est lié à un concept appelé théorie de la réutilisation des neurones.
Cela veut dire que nous réutilisons certains des circuits neuronaux que nous possédons déjà ou les connexions que nous avons déjà faites pour comprendre un concept, pour nous aider à acquérir beaucoup plus rapidement les idées principales sur un nouveau concept.
C’est vraiment intéressant. Et en parlant de métaphores, j’adore la métaphore du sac à dos et du casier.
Pouvez-vous expliquer, s’il vous plaît, de quoi il s’agit ?
Ok. Alors gardons cette image de sac à dos.
Nous avons un peu parlé de la mémoire de travail, qui est un petit ensemble d’informations que vous que votre esprit peut retenir temporairement mais que vous pouvez perdre assez facilement. Donc la mémoire de travail c’est comme un sac à dos.
Dans un sac à dos, on ne peut mettre qu’un petit nombre d’informations, alors que dans un casier, les écoliers peuvent mettre beaucoup plus de matériel, et c’est plutôt la mémoire à long terme. En fait, c’est une mémoire à long terme presque miraculeuse, car il ne s’agit pas seulement de ce qui se trouve dans le casier, mais vous pouvez ouvrir la porte du casier et l’espace dans ce casier est énorme!
Il peut contenir presque tout ce que vous voulez. Donc si vous êtes capable de faire entrer quelque chose dans la mémoire à long terme, ça y restera longtemps. Votre seul problème sera peut-être : j’ai tellement de choses dans ce casier, où puis-je trouver l’information que je cherche? C’est bien là la différence: dans votre sac à dos vous pouvez avoir un peu d’informations que vous transportez avec vous, mais les choses tombent du sac à dos assez facilement. Et de l’autre côté, un casier, et surtout nos casiers magiques, peuvent contenir bien plus d’informations!
Ah, les casiers magiques hehe, d’accord 🙂
Je ne crois pas que vous ayez beaucoup parlé des flashcards dans le cours en ligne. Cependant, si je devais recommander un seul outil, je pense que ça devrait être celui-ci afin de nous tester. C’est tellement efficace à mon sens. Je me demande si elles le sont tant que ça?
Oh oui. Les flashcards sont très, très efficaces parce qu’elles font appel à la pratique de récupération.
Donc les flashcards sont particulièrement efficaces, je pense, pour l’apprentissage des langues car on doit apprendre de très nombreux mots de vocabulaire, mais je pense qu’elles peuvent aussi être d’une grande utilité pour l’apprentissage de la physique, de la chimie, des mathématiques.
On est souvent découragés à l’idée de devoir nous souvenir des choses par cœur, comme nous le faisons, si nous apprenons une langue, nous devons mémoriser ces termes, vous savez, les mots et ainsi de suite.
Mais avec l’éducation occidentale réformée, on entendra souvent dire : “Oh non, non, non, vous n’avez pas besoin de mémoriser cette équation.” N’écoutez pas ce conseil!
Les poètes disent souvent : mémorisez le poème et vous le comprendrez plus profondément. Pourquoi devrions-nous laisser tout ce plaisir qu’aux poètes ? Si vous apprenez les maths et les sciences, ça peut aussi être très utile.
Ne pas simplement mémoriser une équation, mais la regarder et y réfléchir comme si c’était un poème. Donc, tu te demandes, pourquoi ceci multiplie ceci? Pourquoi ça les divise? Où est l’exposant? Pourquoi cette variable est-elle là? Nous allons ainsi mémoriser ou intérioriser certaines de ces équations clés, intérioriser comment résoudre les problèmes clés et apprendre beaucoup plus efficacement.
Donc, comme vous, j’avais l’habitude d’utiliser des flashcards. J’avais une question sur un côté, mais je ne la retournais pas juste pour pouvoir mémoriser les solutions de l’équation ou du problème. Je me disais : « Ok, je regarde d’un côté de la flashcard, maintenant voyons quelle est la première étape que je fais pour résoudre cela…? Ok. Quelle est la suivante ? Et la suivante ? Puis celle d’après? » Et c’est ainsi que je pouvais voir si je pouvais le résoudre d’abord dans ma tête, puis je le faisais toujours sur papier pour être sûre de ne pas me tromper. C’était comme une chanson qui se déroulait dans mon esprit.
Et puis l’étape suivante, suite au fait que j’avais résolu ce problème tellement de fois quand je pratiquais, est que je le retrouvais dans mon propre esprit et que retrouver comment résoudre toutes sortes de problèmes différents est devenu très facile. Et cela m’a aidé à développer l’intuition que si je regarde un certain type de problème, je sais que j’ai besoin de ce type d’approche, par opposition à ce type d’approche.
Donc les flashcards sont très efficaces parce que nous utilisons la pratique de récupération. quand nous faisons appel à elles, est-ce que ce bien cela ?
Yes
Donc on peut utiliser les flashcards à la fois pour résoudre des problèmes et pour apprendre par coeur?
Oui. Et rappelez-vous que lorsque vous apprenez par coeur, vous faites toujours tout ce que vous pouvez pour comprendre pourquoi vous le faites (du moins, au début). Une fois que vous avez compris, vous n’avez plus besoin de continuer à vous remémorer pour quelle raison vous le faites.
Il suffit de faire en sorte que le processus d’apprentissage devienne naturel et fluide.
La relecture et le surlignage sont deux stratégies que les adolescents utilisent beaucoup. Elles ne sont pas très efficaces.
Quelles autres stratégies sont plus efficaces ?
La stratégie la plus efficace, et de loin, est la pratique de la récupération.
Nous pouvons nous mentir à nous-mêmes en pensant que si nous surlignons des mots sur une page, ou si nous relisons des mots sur une page, cela va nous aider à apprendre.
Si vous lisez quelque chose attentivement un jour, et que vous relisez attentivement un ou deux jours plus tard, donc en ayant eu le temps d’avoir réfléchi à ce que vous avez lu, cela pourrait être utile. Ou alors vous relisez un paragraphe bien précis qui est très difficile car vous devez comprendre de quoi il s’agit, dans ce cas, cela peut marcher.
Mais ce qu’il faut éviter c’est de lire un chapitre, puis de le lire à nouveau, vos yeux parcourant de manière ultra-fluide votre paragraphe, vous gargarisant en vous disant “j’adore ce passage” en pensant qu’après cela vous connaîtrez son contenu. Cela est trompeur!
Le contenu en question ne va que dans la mémoire de travail, pas dans la mémoire à long terme. La seule façon de le retenir dans la mémoire à long terme est d’utiliser la pratique de récupération et ce genre de techniques de pratiques délibérées.
Donc, surtout si vous apprenez une langue, essayez de le faire comme si vous étiez avec un locuteur natif.
Un locuteur natif peut vous dire n’importe quoi à n’importe quel moment. Par essence, c’est ce qu’on appelle l’entrelacement. Cela signifie qu’il existe des concepts qui sont en quelque sorte connectés, mais vous ne savez pas vraiment quand le concept va venir à vous. Ainsi, l’entrelacement ou le mélange d’idées étroitement liées vous aide à être plus rapide, efficace dans ce que vous apprenez et à devenir plus intuitif.
C’est vrai pour l’apprentissage des langues, mais c’est la même chose pour l’apprentissage des maths et des sciences. Si quelqu’un vous donne un tas de calculs pour, par exemple, calculer le périmètre de différents cercles, ne vous arrêtez pas à cela … Vous pouvez dire oui, bien sûr, c’est tellement facile, je peux calculer les périmètres, je l’ai fait tellement de fois! Mais essayez de mixer ces calculs à d’autres concepts avec lesquels il pourrait y avoir confusion. Par exemple: ne calculez pas seulement le périmètre, mais calculez la surface, calculez le volume. L’idée est donc que vous puissiez jouer avec tous ces concepts simultanément. Lorsque vous aurez un test ou un contrôle, on ne va pas vous dire “pour ce problème, utilisez le périmètre!”. On attendra de vous que vous le déduisiez. Donc il faut savoir mixer, lier ses connaissances pour savoir au mieux les utiliser, or les manuels ne présentent pas les choses de cette façon. Les manuels seront plutôt du style à énoncer: « Voici la section 4 sur les calculs de périmètre. Et voici 15 problèmes sur les calculs de périmètre. »
Et à la fin, lorsque vous pensez avoir compris, ce n’est pas le cas, puisque vous serez en difficulté lorsqu’il faudra utiliser d’autres types de calcul. Si on revient au langage, vous pourriez penser que vous connaissez bien le présent de l’indicatif en anglais. Et bien, si vous ne connaissez que ce temps, vous n’irez pas bien loin. Vous pourrez vraiment vous exprimer en utilisant ce temps si vous êtes capable de mélanger le présent au passé, au futur et aux autres temps. C’est là que vous devenez vraiment pertinent dans votre expression.
Ne vous laissez pas vous mentir à vous-même en pensant : « Super ! Je connais le présent”! Car quand vous commencerez à le mélanger avec d’autres temps, vous vous rendrez compte que vous ne le connaissiez pas aussi bien que vous le pensiez.
J’ai lu un article écrit par John Dunlosky dans lequel les exemples en mathématiques se rapprochent de ceux que vous avez donné …
Ah oui, c’est un maître brillant en termes de techniques pour aider les étudiants à apprendre. Il a écrit, avec ses collègues, un article remarquable sur ce que les étudiants devraient vraiment faire pour apprendre efficacement.
C’est une superstar 🙂
Et on ne peut pas finir cet épisode sans parler de la technique Pomodoro!
Oui, c’est une technique très notable et utilisée.
Donc, comme vous le savez, j’enseigne un cours sur comment apprendre à apprendre. C’est l’un des cours ouverts en ligne les plus populaires dans le monde. Nous avons eu plus de 3 millions d’étudiants. Et je peux vous dire sans aucun doute que la technique préférée des gens dans ce cours est la technique Pomodoro!
Je remercie gracieusement Francisco Sedillo, qui était italien, qui a conçu cette technique, dans les années 80 et qui fait définitivement toutes ses preuves, notamment à travers ce que nous avons appris depuis grâce aux neurosciences.
La technique Pomodoro est très simple. Vous vous débarrassez de toutes les distractions, pas de pop-ups sur votre ordinateur, rien qui apparaisse sur votre téléphone portable.
Si vous avez un petit frère, et bien bonne chance pour enlever cette distraction, mais faites de votre mieux pour y arriver ! 🙂
Mettez de côté, toutes, toutes les autres sortes de distractions puis mettez un minuteur pour 25 minutes. Travaillez aussi intensément que vous le pouvez pendant ces 25 minutes.
Si votre esprit se dit que vous devez faire autre chose, et bien, notez-le mais restez concentré pendant ces 25 minutes.
Et quand vous avez fini, détendez-vous pendant 5 minutes. Et vous pouvez faire cela 2, 3, 4 fois, et ensuite prendre une pause plus longue, une demi-heure par exemple. Mais ces petites pauses de cinq minutes sont vraiment importantes car elles vous permettent de vous mettre en mode diffus.
Cela vous aide à vous éloigner de la fixation cognitive et à avoir du recul sur, par exemple votre manière d’apprendre qui pourrait ne pas être la plus efficace et vous ralentirait.
En tout cas, la technique Pomodoro est incroyablement précieuse, non seulement pour l’apprentissage, mais aussi pour la productivité.
Merci. Aimeriez-vous partager quelque chose qui s’est passé récemment et qui vous a rendu reconnaissante?
Je suis reconnaissante par rapport au fait que je vais avoir un nouveau genou demain, donc je pourrai marcher sans avoir mal à la jambe. Je ne pense qu’à cela!
Il y a 50 ans, si vous aviez votre genou qui se déchirait, c’était juste ainsi et vous ne pouviez plus bien marcher pour le reste de votre vie, ou alors il y a 100 ans, ou 200 ans, si vous étiez en guerre et que votre jambe se cassait c’était tant pis pour vous ! Mais moi je peux aller à l’hôpital, ils me répareront le genou et je serai sur pieds demain après-midi après la chirurgie. Je suis très reconnaissante pour cela.
Je vous souhaite bonne chance pour demain.
Merci beaucoup.
Pour finir pouvez vous partager avec nous une citation et un livre?
Voyons lesquels choisir ?
Je ne suis pas douée pour me souvenir des citations.
La première serait: « Ne vous contentez pas de suivre vos passions, élargissez-les! »
Et la seconde est de Winston Churchill, qui dit “There is something about the outside of a horse that is good for the inside of a man.” (ndlr: la traduction littérale que nous laisserons à interprétation pour le lecteur serait: “il y a ce quelque chose à l’extérieur d’un cheval qui est toujours bon pour l’intérieur d’un homme”).
C’est vrai. J’adore les chevaux.
Et pour les livres, il y en a tellement ..!
L’un de mes préférés de tous les temps est sur Genghis Khan, appelé Genghis Khan and the making of the modern world, par Jack Weatherford. C’est un livre fantastique.
Et un autre livre que j’aimerais évoquer est celui sur Pierre le Grand par Robert Massey.
Il y a aussi the book of why, (“le livre des pourquoi”) écrit par Judea Pearl, sur la causalité et comment modéliser la causalité.
Très récemment, j’ai lu The cattle kingdom, un livre très intéressant sur le bétail aux Etats-Unis entre les années 1850 et 1900. C’était comme la Silicon Valley de l’époque, sauf qu’il s’agissait de vaches au lieu de puces 🙂
Merci Barbara. C’était vraiment génial d’échanger avec toi!
Oh, Céline, je suis ravie.
Tout ce que je peux dire, c’est que votre apprentissage se passe très bien.
Donc tout ce qu’il me reste à vous conseiller, c’est d’écouter Céline, elle apprend vite!
Je ne peux que vous remercier pour cet entretien fantastique
Oh merci.