Bonjour,
Je vois et j'entends régulièrement parler de l'utilisation de la pédagogie Montessori dans le cadre de l'instruction en famille.
Au début je ne me questionnais pas mais je me demande maintenant si on peut réellement parler de "pédagogie Montessori" pour un enfant qui n'apprendrait pas avec d'autres enfants ?
La pédagogie est elle transposable pour l'IEF ou est-ce seulement son matériel ?
Merci d'avance et bon week-end 🙂
Juliette
Bonjour Juliette,
Je trouve cette question très pertinente !
Il me semble que la question ne se pose pas tout à fait de la même manière pour les enfants de 0-3 ans et pour les enfants plus grands... tout simplement parce qu'à chaque stade de développement correspondent des besoins très différents, et qu'il est donc essentiel de leur proposer des environnements très différents.
Pour les très jeunes enfants, dans l'approche Montessori, l'environnement proposé accompagne l'enfant pas à pas dans sa découverte de lui ("apprends-moi à être moi-même") puis des autres. Il est donc très "réduit" en termes d'espace et de quantité d'interactions, et, même s'il va en s'élargissant, le cadre familial est pleinement suffisant.
Après trois ans, le lien à l'autre et en particulier le lien aux pairs, les autres enfants, devient un élément fondamental de son développement. L'importance de ce lien est croissante (pour des adolescents, Maria Montessori propose même l'internat et la vie au sein d'une micro-société) et l'éveil du sens social se fait au contact régulier d'autres enfants. L'adulte a un rôle important, mais moins central, il doit apprendre à se retirer pour laisser la place à ces échanges. C'est pour cette raison que le nombre d'enfants dans une classe Montessori est important, il permet de créer des relations privilégiées entre enfants et de multiples occasions d'interactions.
Je dirais que le matériel lui-même perd beaucoup de sa puissance car les apprentissages les plus profonds se font par la manipulation libre, l'exploration du matériel et dans l'interaction avec d'autres enfants.
J'accompagne des enfants en IEF. Ce sont des enfants épanouis, créatifs et qui ont des connaissances très impressionnantes. Leurs parents prennent soin de leur proposer des activités avec d'autres enfants (sport...), mais celles-ci sont nécessairement organisées par l'adulte, sur des créneaux spécifiques, et ne leur permettent pas de bénéficier de la richesse des interactions nées d'un emploi du temps non préétabli, non chronométré. Ce sont aussi des enfants qui ont besoin d'une forte présence de l'adulte, de ses propositions et de son approbation.
Je vous rejoins donc dans cette interrogation : il me semble que pour des parents qui proposent l'IEF, il est très délicat de parvenir à respecter ce besoin fondamental en proposant le nombre, la qualité et la régularité suffisante d'interactions avec d'autres enfants, et en se retirant suffisamment pour laisser l'indépendance dont les enfants ont besoin. Ce changement de posture est complexe pour les enseignants, il l'est également pour les parents !
Merci beaucoup !
Bonjour, je trouve ce post très intéressant et souhaiterai obtenir une précision, je me permets de vous citer
"Je dirais que le matériel lui-même perd beaucoup de sa puissance car les apprentissages les plus profonds se font par la manipulation libre, l’exploration du matériel et dans l’interaction avec d’autres enfants".
Pourriez vous m'indiquer à votre sens ,à partir de combien d'enfants l'interaction serait suffisante au soutien du matériel ?
merci par avance pour votre retour et bonne continuation.
Nesrine
Bonjour Nesrine,
Je rejoins totalement Maria Montessori sur ce point : il faut un nombre important d’enfants. Et même, étant donné que nous faisons le choix pédagogique de mélanger les classes d’âge, un nombre relativement important d’enfants dans chaque classe d’âge. Pour moi, de 8 à 12 enfants, soit pour une Maison des enfants 24 à 36. Autant, voire plus que dans une classe traditionnelle.
J’y vois de multiples raisons, pas seulement liées à l’utilisation du matériel. Cela favorise en effet :
- des interactions riches, nombreuses et variées entre enfants :
- offrant la possibilité de travailler avec des enfants différents à des moments différents (selon les affinités, les activités…),
- plus de chances de trouver un partenaire « qui va bien » : si on a une classe d’une dizaine d’enfants, un enfant de 4 ans n’aura probablement que 2 ou 3 camarades du même âge… donc des possibilités limitées de trouver des enfants avec qui il s’entend vraiment bien. J’ai vu plus d’une fois des enfants dans des classes à faible effectif des enfants que les éducateurs trouvaient solitaires ; ces enfants étaient souvent seuls ou quasiment dans leur tranche d’âge
- plus de chances de trouver des enfants qui ont des compétences différentes, donc plus de possibilités d’entraide
- plus de solutions de repli quand il y a un conflit, quand l’enfant se trouve en difficulté devant une situation
- moins de comparaisons entre enfants :
Associé à la multiplicité des niveaux et à la possibilité de travailler à son propre rythme, le fait d’avoir de nombreux camarades permet de rencontrer une grande variété d’enfants, de personnalités, de compétences, donc d’être véritablement confronté à la différence. Et ainsi de prendre conscience de la richesse qui nait de cette différence et de l’accepter, celle des autres comme la sienne, et de prendre confiance en soi - une dynamique plus importante
J’ai enseigné pas mal d’années, en Montessori comme en traditionnel. L’une des années le plus compliquées a été celle où je n’avais que 15 élèves : avec un effectif aussi réduit, c’est l’adulte qui doit donner l’impulsion en permanence, ce qui est compliqué quand on fonctionne en traditionnel mais franchement difficile en Montessori !!! - une émulation par la variété des présentations de matériels
- au sein d’une même classe d’âge : très souvent, si on commence à présenter un matériel, par exemple les lettres rugueuses à un enfant, ceux qui sont dans la même période sensible seront à leur tour très demandeurs de cette présentation ; s’il n’y a que trois enfants dans cette classe d’âge, ils n’en seront peut-être pas tous au même stade, et cette émulation ne se fera peut-être jamais
- entre classes d’âge : pour les mêmes raisons, un enfant jeune n’aura peut-être pas l’occasion d’assister à des présentations de « grands » (mathématiques, lecture, grammaire…) et ne pourra pas se projeter sur ce qu’il fera plus tard, or cette projection est très importante pour l’investissement qu’un enfant peut faire de sa vie à la maison des enfants (et plus tard), pour le sens qu’il donne à ses apprentissages
- une absorption à chaque instant, consciente ou non
De même, on sait qu’une présentation pour un enfant s’adresse en réalité à l’ensemble de la classe. Dans une classe à effectif élevé, les présentations sont plus variées et plus nombreuses, et chacun aura l’opportunité d’absorber davantage de matériels et connaissances - une émulation dans l’exploration du matériel
Les présentations ne sont qu’une impulsion à la répétition et à l’exploration, qui, seules permettent un ancrage des apprentissages. A plusieurs, cette exploration sera beaucoup plus riche. - une présence plus légère de l’adulte
La présence de l’adulte, même lorsqu’il est vigilant, sera beaucoup moins forte pour chaque enfant lorsqu’ils sont 30 que lorsqu’ils ne sont qu’une quinzaine : leur « maître intérieur » aura donc beaucoup plus de place pour s’exprimer et s’épanouir
Il y aurait encore beaucoup à dire, mais j’espère avoir apporté quelques éléments à votre réflexion.
Bien cordialement,
Laure