Bonjour à toute l’équipe,
Je souhaitais vous partager mes réflexions actuelles sur la liberté dans une ambiance Montessori mais aussi sur le jeu libre et échanger avec vous à ce sujet.
Lors de mon stage en école Montessori, j’ai vu des enfants qui s’ennuyaient, qui se lassaient rapidement du matériel, qui passaient d’une activité à une autre rapidement, qui souhaitaient constamment jouer et échanger avec leurs camarades, et qui pouvaient passer des heures à dessiner inlassablement. J’ai d’abord pensé que c’était à cause de l’éducateur qui ne les motivait pas assez, qui n’avait pas su créer une ambiance positive et de confiance, qui n’avait pas posé assez de règles, les enfants n’avaient pas les bonnes conditions pour souhaiter travailler.
De plus, j’ai eu le sentiment que les enfants n'étaient finalement pas si libre que cela. Dans ses écrits Maria Montessori parle de l’importance de laisser libre les enfants car ils savent intuitivement ce qui est bon pour eux et pour leur développement. Pourtant, ce que l’ambiance leur propose est très restreint que ce soit les activités à disposition et la manière d’utiliser le matériel.
Lors du volontariat que j’effectue actuellement dans une école démocratique dans la nature, le directeur pédagogique m’a parlé de l’importance du jeu libre(Le jeu libre est un jeu qui n’est pas proposé par l’adulte ni régulé par celui-ci) pour le bon développement et la construction de l’enfant(il fait beaucoup référence au livre de Peter Gray « Free to learn »). De plus, dans cette école, les enfants sont libres de leur apprentissage, c’est à eux de demander ce qu’ils souhaitent apprendre.
Suite à cette dernière expérience, je porte aujourd’hui un autre regard sur le dysfonctionnement de la classe dans l’école Montessori où j’ai effectué mon stage et me pose les questions suivantes:
-Si les enfants n’utilisaient pas ce matériel n’était-ce pas parce qu’il ne correspondait pas à leurs envies et besoins?
-Si les enfants passaient leurs journées à dessiner n'était ce pas car cette activité répondait à leur besoin de liberté, de créativité, d’autonomie? En effet, c’était la seule activité libre, dont l’adulte n’imposait pas une manière d’utiliser le matériel.
-Si l'éducateur Montessori doit faire preuve d’autant d’ingeniosité pour donner envie à l’enfant d’utiliser le matériel n’est ce pas parce que l’enfant y porte moins d'intérêt et d’envie que le jeu libre, et qu’il ne répond pas à leur besoin de gérer leur apprentissage comme il le souhaite?
Ces questionnements m’emmène à vous en poser une plus globale: une ambiance Montessori qui est très dirigée dans les apprentissages (mathématique, langage..) et dans la manière avec laquelle il faut utiliser le matériel répond-elle à la liberté et à la nécessité de faire confiance à l’enfant dans ses apprentissages dont fait référence María Montessori dans ses écrits?
Je vous remercie par avance de votre retour 🙂
Bonjour Cécile,
Vous soulevez des éléments essentiels auxquels il me semble qu’il y a plusieurs niveaux de réponse.
Pour ce qui concerne la question du libre choix
Maria Montessori souligne en effet que l’enfant est capable de choisir ce qui est bon pour lui, en s’appuyant sur son Maître Intérieur.
Elle souligne cependant que l’enfant a pu être entravé dans son développement du fait d’un environnement inadapté à son rythme, à ses besoins de développement et de stimulation ni trop forte ni trop faible, d’autonomie, de sécurité affective, à ses réels besoins physiologiques…
L’enfant ainsi entravé risque de perdre le lien avec ce Maître intérieur, s’éloignant alors de cette capacité, et manifestant parfois des comportements qui ne servent pas son bon développement et son épanouissement (par exemple un imaginaire excessif et déconnecté de la réalité, une addiction aux écrans…)
Le principal objectif / travail de l’éducateur est alors de l’accompagner pour se reconnecter avec son maître intérieur, soutenir sa confiance en lui, sa volonté, sa capacité d’initiative, ses compétences sociales… Il peut arriver à ce stade que laisser à l’enfant une liberté de choix absolue soit nocif pour son développement et que l’aide de l’adulte et de l’environnement passe momentanément par un cadre un peu plus contraignant.
Cette contrainte n’a qu’un temps, celui de permettre à l’enfant de trouver ensuite la solidité intérieure de trouver par lui-même son propre chemin.
Pour ce qui concerne le jeu libre plus spécifiquement
Tout dépend de ce qu’on appelle jeu libre, mais également de l’âge des enfants. Peut-être pourriez-vous préciser ce que vous pouvez observer dans l’école où vous effectuez votre volontariat ?
Le jeu libre est souvent étroitement associé à l’imagination, qui est abordée de manière très différente selon le plan de développement de l’enfant (vaste sujet que je vous invite à approfondir si cela vous intéresse).
Dans la pédagogie Montessori, on s’attache en 0-6 ans à donner à l’enfant les clés de son environnement, en s’appuyant en particulier sur ses sens. L’objectif est de lui permettre d’avoir un ancrage solide dans la réalité, une structuration dans le temps et dans l’espace, une construction de son esprit mathématique, qui lui permettront ensuite de faire appel à sa grande capacité d’abstraction et d’imagination, caractéristique du plan de développement suivant.
Par ailleurs, dans la première Maison des Enfants de Rome, les enfants avaient à disposition des jeux libres (poupées…). Maria Montessori les a supprimés quand elle a constaté que les enfants les avaient abandonnés, préférant des activités réelles et « intelligentes » (adaptées à leur taille et à leur force, ayant un objectif facile à comprendre et une fin)
Pour ce qui concerne les limites du matériel et de leur utilisation, et la place de l’adulte
Ce sont en réalité plutôt des limites que les éducateurs (se) posent.
Si le matériel peut sembler « pauvre », c’est notamment pour laisser la place à l’exploration et à la créativité de l’enfant. Le rôle de l’adulte est de créer les conditions de cette exploration et de saisir toutes les occasions de l’impulser et en aucun cas à s’y substituer. Il le fera d’autant mieux qu’il aura lui-même et en dehors de la présence des enfants en laissant libre cours à sa créativité, et qu'il peut supporter de ne pas avoir de maîtrise de l'activité de l'enfant.
Autrement dit, l’éducateur ne devrait mettre de limites à l’activité de l’enfant que
- si ce travail ne correspond pas à ses besoins (période sensible…) et à ses apprentissages ultérieurs ; la qualité de l’observation, la connaissance de l’enfant et du matériel sont donc essentielles
- si l’utilisation qu’il en fait est dangereuse (pour lui, pour les autres, pour le matériel) ou nuit à l’activité (celle des autres, la sienne)
Par exemple, je ne propose que deux présentations différentes de l’escalier marron. Mais je suis particulièrement attentive au moment où l’un des enfants va chercher à aller plus loin, comme placer les pavés à la verticale et chercher à construire une sorte de tour. J’observe à cette étape la qualité de sa concentration et la précision de ses mouvements, pour savoir si dois intervenir ou non.
Arrive un moment où il n’est pas assez grand pour continuer à construire sa tour. Mon rôle est alors de faire en sorte qu’il ne renonce pas à l’objectif qu’il s’est fixé : je lui propose de monter sur un petit escabeau ; malgré cela, il ne parvient pas à poser le dernier pavé, je peux alors le porter pour qu’il y arrive…
L’enfant qui a vécu cette expérience, mais aussi les enfants autour de lui, savent alors que l’exploration est encouragée dans ce lieu. Ils renouvelleront l’expérience, puis la dépasseront, par exemple en associant plusieurs matériels (l’escalier marron et la tour rose, de manière très classique, mais j’ai vu de nombreuses associations que j’aurais été bien incapable d’imaginer)
Il est en réalité impossible à l’adulte de ne pas influencer du tout l’activité de l’enfant, ne serait-ce parce qu’il le place dans un environnement donné, et sélectionne les activités et/ou les matériels qu’il met à sa disposition.
Dans l’approche Montessori, il s’efforce de :
- mettre en relation l’enfant et le matériel (ne pas oublier que l’enfant peut être démuni)
- éviter de mettre l’enfant en échec (activité qu’il ne peut pas faire)
- créer l’environnement le plus adapté possible
- proposer les bonnes activités au bon moment, en s’appuyant sur l’observation, en étant attentif à la demande de l’enfant, que celui-ci soit capable de l’exprimer ou non -> l’enfant de 3-6 ans sait peut-être instinctivement de quoi il a besoin, mais comment peut-il savoir que tel ou tel matériel lui permettra de satisfaire ce besoin, en particulier s’il n’existe pas au préalable dans son environnement ?
- impulser l’exploration
- soutenir toutes les formes d’apprentissage (y compris par exemple par l’observation)
L’importance de ces rôles est très variable selon les besoins de l’enfant. Elle se réduit au fur et à mesure que l’enfant est davantage en lien avec son maître intérieur d’une part, et qu’il a accès à la capacité de se projeter de manière abstraite (donc qu’il avance vers l’esprit comprenant) d’autre part !
Bonne exploration !
Laure
Bonjour Laure,
Je n'avais pas pris le temps de vous répondre. Je vous remercie beaucoup d'avoir pris le temps de me donner une réponse aussi complète et détaillée 🙂
Cécile