C'est dans la répétions que l'enfant affinera son geste, sa précision, explorera de plus en plus un matériel après que celui-ci lui soit présenté.
J'observe dans mon ambiance que les enfants, notamment les plus jeunes, ont peu tendance à reprendre le matériel qui vient de leur être présenté.
Certains sont en demande constante de nouvelles présentations tandis que les précédentes n'ont pas été reprises par ces mêmes enfants. D'autres explorent le lien social si important en 3-6 ans.
Je m'explique cela par plusieurs constats:
- Le contexte actuel (après 2 mois et demi de confinement) fait que les enfants les plus jeunes de l'année passée (les "petits) sont devenus de "moyens" de cette nouvelle année scolaire (même si cette catégorisation n'est pas toujours facile à porter pour certains) . Or on constate clairement que le degré d'autonomie, de socialisation et de confiance en eux qui mènent progressivement à la normalisation n'est pas atteint. On aurait tendance à parler d'eux comme des "petits/moyens". Ceci n'aide pas forcément les plus jeunes, arrivés en septembre qui prennent exemple sur les enfants plus âgés. Mais étant donné que les "moyens" semblent avoir plus de difficultés à porter sur leurs épaules ce nouveau rôle de "moyens", les plus jeunes ont du mal à s'en inspirer.
- Du choix-libre nait le libre choix cependant chez le jeune enfant le choix libre n'est pas toujours évident à gérer. Par conséquent nous accompagnons les enfants, surtout les plus jeunes vers des activités déjà présentées afin que la répétition puissent se faire. Mais on sent bien que l'intérêt n'y est pas. La gestion d'ambiance est assez travaillée: nous accompagnons physiquement les enfants, nous mettons à leur hauteur, et les invitons à débuter l'activité. Malgré le fait qu'accompagner les jeunes enfants ainsi me semble nécessaire, j'ai l'impression que je déroge aux principes Montessorien du libre choix et du respect du goût d'aller vers telle ou telle activité de l'enfant. Mais dans la pratique il est vrai que les choses sont quelques peu différentes.
- Le temps. Il est nécessaire de patienter quelques semaines pour voir une évolution de la normalisation de sa classe. Les effets du travail des enfants paient, encore faut-il patienter. A moi éducatrice de patienter peut-être... Bilan à faire avant les vacances de Noel.
J'en viens à ma question: avez-vous d'autres pistes qui pourraient expliquer le fait que le matériel soit peu repris.
Bonjour,
La répétition est en effet un élément clé, qu'il n'est pas si simple d'atteindre au sein d'une classe.
Il me semble que vos explications sont tout à fait pertinentes :
- la situation actuelle - on pourrait même ajouter à ce que vous proposez que ce que nous vivons tous et qui crée un certain mal-être chez bon nombre d'adultes et ne peut pas ne pas avoir d'impact sur les enfants et sur leur sérénité et leur capacité à "se poser"
- la difficulté à faire des choix quand on est aussi jeune : cette compétence est en cours de construction et c'est d'ailleurs l'un des objectifs indirects de la vie pratique
- et la patience : si l'on accompagne l'enfant comme vous le faites tout en lui laissant la possibilité de ne pas accepter les activités proposées, le temps fera en effet son office (vous pouvez même vous asseoir un moment avec lui pour le regarder, dont vous déterminerez la durée en fonction de son autonomie, et, au moment de partir, lui signaler que vous allez maintenant travailler avec tel ou tel enfant, là-bas)
De plus, même pour une classe qui existe depuis longtemps, il faut un certain temps chaque année pour qu'elle (re)trouve son rythme et sa dynamique.
Voici quelques autres pistes de réflexion (la liste n'est pas exhaustive du tout !) :
- est-ce que les présentations ont été choisies pour un enfant en fonction de ce qui l'intéresse et de son stade de développement, est-ce qu'elles ne sont ni trop simples ni trop complexes pour lui (ce qui veut dire que nous avons observé l'enfant en amont essayer de lui présenter le bon matériel au bon moment)
- est-ce que nous avons créé un moment privilégié entre lui et nous pendant cette présentation, en lui montrant que nous étions heureux de partager ce moment avec lui, en ne nous laissant pas distraire par ce qui peut se passer dans la classe
- pendant la présentation, est-ce que nous sommes restés avec lui jusqu'à ce que son attention s'épuise, et aussi longtemps que nécessaire pour qu'il ait déjà répété plusieurs fois le geste et découvert le plaisir de la répétition (ce qui veut dire qu'il faut parfois rester un temps qui nous semble incroyablement long avec les enfants les plus jeunes)
et même, est-ce que nous l'incitons à répéter l'activité au-delà de sa capacité d'attention : comme vous l'écriviez, la capacité à choisir n'est pas encore construite, il faut tenter de l'aider à le faire sans le contraindre. Le choix peut donc au début être restreint : "quelle boîte est-ce que tu veux ouvrir maintenant ?" plutôt que "est-ce que tu veux ouvrir encore une boîte ?". "Tiens, moi, j'aimerais ouvrir encore cette boite-ci avant de ranger le matériel. Et maintenant, laquelle aimerais-tu ouvrir ?" "Maintenant, je vais ouvrir celle-ci. Est-ce que tu peux m'aider pour la refermer ?"... - utilisez-vous les "points d'intérêt" du matériel pour relancer un cycle d'activité. Chaque matériel présente plusieurs points d'intérêt, que l'on va utiliser en fonction des sensibilités particulières de l'enfant. Par exemple, si un enfant s'est très vite lassé de l'activité "presser une éponge". En observant cet enfant vous vous êtes aperçue qu'il était particulièrement intéressé par les sons. Vous pouvez l'inviter à nouveau en lui expliquant que vous allez lui montrer quelque chose de nouveau avec ce matériel. La présentation se déroulera de la même manière, mais au moment où l'eau coule dans le bol, un simple "écoute !", en chuchotant d'un air mystérieux peut attirer son attention sur un phénomène qui l'intéresse et lui donner envie de reprendre le travail.
- nous portons en général notre regard sur les phénomènes que nous attendons (ordre, répétition...) or il se passe toujours beaucoup de choses que nous ne voyons pas forcément : le temps que les enfants ne passent pas à répéter, il le passent très probablement à construire autre chose. Essayer de vous poser un moment et de regarder la classe et les enfants avec un oeil neuf et neutre vous permettra peut-être de découvrir quoi, et d'adapter votre pratique
- les enfants d'aujourd'hui ne sont pas tout à fait ceux de l'époque de Maria Montessori, le matériel n'est peut-être pas tout aussi magique car ils ont un environnement familial beaucoup plus riche (voire surabondant), sont souvent en contact avec les écrans, ont une alimentation plus riche en sucres... il peut donc leur falloir plus de temps pour s'intéresser et reprendre certaines activités
Bonne continuation !
Bonsoir Laure,
Quelle réponse à ma question ! C'est absolument passionnant de vous lire. Vous mettez en avant tellement d'éléments qui peuvent permettre à ma réflexion et ma posture d'éducatrice d'évoluer.
En vous lisant, il y a déjà plusieurs points où je sais d'ores et déjà que l'organisationnel prend le pas sur la qualité du temps qui devrait être passé avec un enfant. C'est assez compliqué de prioriser à vrai dire surtout lorsqu'on a des contraintes.
Un immense merci. Je vais noter l'ensemble de ces pistes de travail.