L’éducateur Montessori a le devoir et la lourde responsabilité d'œuvrer pour permettre à l’enfant de s’approprier sa culture et d’ouvrir son esprit à celle de ses congénères. Pour cela, l’environnement soigné, le matériel adapté et la posture de celui qui est au service de l’homme en construction, vont alors se côtoyer harmonieusement pour permettre la découverte du monde dans les jeunes esprits qui lui sont confiés.
Un autre élément, nous est offert, dont j’ai eu la joie d’éprouver les vertus pédagogiques: le Kamishibaï. Il s’agit là d’une sorte de théâtre ambulant, venu de l’Empire du Soleil Levant. Son nom signifie littéralement “ pièce de théâtre sur papier”. On ne peut comprendre la profondeur et l’apport de ce matériel sans s’être interrogé sur sa provenance, sur le peuple qui en est à l’origine. Le Japon a la particularité depuis la nuit des temps d’inculquer à ses habitants la force morale avec laquelle l’homme doit agir et tendre pour pouvoir goûter avec douceur l’union du personnel et du collectif, en d’autres termes l’union intime de l’individu à sa communauté et aux règles qui la régissent.
La conception des relations sociales est très différente de celle partagée par les Occidentaux. C’est en étant intégré à la société que le Japonais va pouvoir mieux se connaître et se développer lui-même. En respectant l’autre, il se respectera et grandira en estime devant ses propres yeux. Le parallèle avec la réflexion de notre chère pédagogue est alors facile à faire. Maria Montessori n’était pas venue d’Orient, mais avait la délicatesse d’âme de ce peuple qui a tant à nous apprendre. Les leçons de Grâce et de Courtoisie qu’elles nous a offertes résonnent fortement dans l’éducation à la paix qu’elle souhaitait de tout son être.
C’est pourquoi, j’ai voulu introduire ce théâtre portatif, non pas pour offrir un spectacle à mon jeune public, mais pour toucher son âme en frappant à la porte de sa conscience.
Pour cela, il a fallu que l’assistance accueille le silence. On ne peut assister à une représentation sans se préparer physiquement à l’écoute. La seule présence de mon butaï en bois invitait à la contemplation. Ce support en bois, ouvragé à la main, a en effet introduit une présence fort appréciable: la disponibilité attentive.
Un sentiment de déférence a alors pris place lors de l’ouverture des 3 panneaux. Afin que l’auditoire cultive cet état d’esprit, j’ai voulu convier la musique. Ainsi, l’enfant était stimulé visuellement et auditivement. Une musique d’introduction, courte, mais laissant le thème de mes illustrations futures prendre place. Mes jeunes amis n’étaient plus alors en France, mais déjà leurs sens les faisaient voyager loin, là où le Soleil montre ses premiers rayons.
L’impact de la musique instrumentale n’est plus à prouver, les études révèlent l’effet apaisant qu’elle produirait dans le cerveau de l’homme et l’aide à la concentration qu’elle fournit pour les tâches de hautes précisions.
Loin d’être scientifique, j’ai pu observer ce phénomène et en ai usé pour capter l’attention de mes petits garnements, qui, fatigués et affamés, attendaient leurs pauses méridiennes. Au fil de mes larges planches, j’ajoutais alors mes quelques notes lors du passage à l’image suivante. À noter que chaque illustration représente un épisode du récit. Cette technique, soutenue par l’harmonie musicale, accompagnait l’enfant qui suivait alors un cadre ordonné. Il me plaît de penser que cet ordre extérieur aura nourri mes jeunes amis, ne serait-ce que l’espace d’un instant . Il s’agissait d’un groupe fort dissipé et indiscipliné, mais l’introduction du Kamishibaï a apporté un souffle nouveau. L’alliance de ce matériel avec la mélodie les a accompagnés. Il n’y avait plus 21 individus devant moi, mais un seul cœur ouvert sur le monde et respectueux les uns des autres. La culture japonaise s’étant alors invitée pour initier ces jeunes enfants à l’harmonie sociale.
Il m’est alors apparu comme une évidence que l’alliance de la musique instrumentale avec mon conte Kamishibaï avait facilité la concentration des enfants et œuvrer en vue d’harmoniser leur état émotionnel, qui, en fin de matinée, montrait quelques signes de discordance et donc de désunion intérieure. Détendu et réceptif, mon jeune auditoire avait été nourri dans sa sensibilité. Sa capacité d’écoute en était décuplée si bien qu’à la fin de l’histoire, un silence plein et profond s’est invité où chacun comprenait qu’il avait partagé quelque chose avec son voisin.
Je ne puis qu’être convaincue que l’éducation sociale de l’enfant peut aussi se faire au moyen de ces instruments, qui touchant à son développement cognitif le respecte dans sa globalité pour le façonner à l’image de l’homme qu'il est appelé à être.
Je vous souhaite sincèrement de vous délecter d’une pareille expérience et d’offrir à nos plus jeunes ces instants de grâce qui construiront, j’en suis sûre, une société où l’individualité se mettra joyeusement au service du collectif.
Anne Claire Vidal